Le tee-shirt symbole de la mondialisation malade

Publié le par Maya

Vous l’avez certainement vu en tête de gondole au rayon Economie de votre librairie ; Les aventures d’un tee-shirt dans l’économie globalisée paru dans sa traduction française chez Fayard il y a quelques semaines, mérite le détour d’Altermode. Professeur de commerce international et de finance à l’université Georgetown de Washington, Pietra Rivoli a mis ses compétences d’analyse au service du marché textile, livrant un ouvrage à la fois sérieux et facile d’accès.
Ce sont les manifestations d’étudiants altermondialistes en 1999 qui déclenchent le tour du monde de Pietra Rivoli. Le propos est découpé en quatre chapitres. Après l’histoire du marché du coton aux Etats-Unis, premier producteur mondial (chapitre 1), le coton arrive en Chine pour être transformé en tee-shirt (chapitre 2). Dans le troisième chapitre, l’auteur s’attarde sur les conséquences de la réglementation excessive du marché avant de s’intéresser à l’essor du recyclage (chapitre 4).
En bonne économiste américaine, Pietra Rivoli nous livre sa confrontation des réalités de ce marché avec ses principes libéraux. Parmi les questions sous-jacentes de ce livre : pourquoi ce marché n’est-il pas libéral, c’est-à-dire dénué d’entraves ?  Est-ce vraiment le libéralisme (i.e. la mondialisation « sauvage » montrée du doigt par les altermondialistes) qui est à l’origine des déséquilibres sur ce marché et des effets pervers qu’il subit ?  La libéralisation totale du marché ne serait elle pas justement sa planche de salut ?
Quelques idées clés de l’auteur
Sur l’Etat américain
Le chantre du libéralisme est responsable des maux du marché mondial du textile.
En surprotégeant la culture du coton au moyen de subventions (4 milliards de dollars soit « plus que le PIB de plusieurs pays producteurs de coton parmi les plus pauvres de la planète ») et d’une organisation particulièrement efficace (apports de centres de recherche scientifiques, super-mécanisation de la récolte, coopératives), les Etats-Unis conservent artificiellement une suprématie sur un marché totalement entravé.
Sur la politique des quotas
Sur le marché des fibres, accessoires et produits finis, le système de quotas mis en place dans le cadre des Accords Multifibres depuis 1974 a entraîné de nombreux effets pervers. Non seulement il n’a pas permis de sauvegarder les emplois aux Etats-Unis, mais il a aussi généré une baisse de compétitivité des entreprises américaines à cause des coûts supplémentaires liés aux barrières à l’entrée imposées par les organisations textiles aux importations de matières premières.
La « foire aux quotas » consistait initialement à accorder des quotas à certains pays plutôt qu’à d’autres pour certains articles. Résultat : les entreprises ont localisé leur production dans des pays différents au gré des quotas (Maurice, Maldives, Hong-Kong, Malaisie, Cambodge, Kenya, Lesotho…). Un jeu de réexpédition des produits initialement fabriqués en Chine  mais expédiés depuis un pays « autorisé » avec une étiquette frauduleuse a vu le jour. Ce système a permis à des pays exportateurs de s’enrichir en vendant des quotas à ceux qui en avaient besoin. Les accords multifibres ont ainsi créé une industrie textile dans certains petits pays « de toutes pièces ». Tandis que d’autres pays, n’ayant pas reçu de quotas de la part des Etats-Unis, n’ont jamais pu développer leur industrie textile.
Enfin, les blocages américains sur des fibres et produits « de base » ont été compensés par une créativité sans bornes en matière de fibres synthétiques du côté des entreprises chinoises, qui ont également cherché à monter en gamme.
Sur les sweatshops
Assurément il n’est pas question de s’apitoyer sur le sort des milliers d’ouvriers qui travaillent dans les sweatshops en Chine et ailleurs. Le travail dans les usines textiles est même une chance d’émancipation pour les paysannes chinoises.
Pourtant, on comprend que, de tous temps, le secteur textile a du son essor à une main d’œuvre bon marché, si ce n’est réduite à l’esclavage. Ainsi, aux Etats-Unis, le boom de la culture du coton au 19ème siècle est intimement lié à l’esclavage.
Si Pietra Rivoli nous livre des témoignages sur la pénibilité du travail dans le secteur textile, c’est pour mieux montrer en quoi ce travail peut mener à une libération de l’individu qui s’échappe de la société agraire traditionnelle pour devenir un véritable ouvrier indépendant en milieu urbain.
Sur l’Afrique
Si le secteur textile africain ne réussit pas à décoller, c’est que l’Etat ponctionne l’essentiel de ses revenus. Les fermiers africains n’ont pas accès directement au marché mondial du coton puisqu’ils sont obligés de vendre leurs balles de coton à l’Etat à un prix dérisoire.
Mais en Afrique, un marché libre s’épanouit merveilleusement : celui du recyclage – vêtements de seconde main, chiffons – des vêtements à peine portés par les habitants des pays riches et déjà démodés. Si les organisations caritatives ne parviennent pas à « donner » les vêtements aux populations africaines, de nombreux africains tirent partie de cette chaîne qui commence en Europe et aux Etats-Unis sous la forme de don désintéressé et s’achève sur un marché libre, comprenant importateurs et revendeurs en tous genres. Pour Pietra Rivoli, pas question de misérabilisme : les africains sont « mieux habillés » et ce commerce est « joyeux ».
Conclusion : un grand village
Le monde de Pietra Rivoli est un peu comme un grand village. Les Etats sont les « méchants » qui veulent imposer des barrières entre les hommes et les militants ou « activistes »  altermondialistes sont des naïfs idéalistes. Les entreprises ne sont presque jamais condamnables. Elles font ce qu’elles peuvent avec les contraintes imposées par les Etats. Quant aux salariés, ils sont capables de tout pour avoir une vie meilleure. Et c’est leur droit le plus élémentaire.
Les incidences du consumérisme au plan écologique sont passés sous silence : ni les dégâts de la culture du coton et de sa transformation en fibre sur l’environnement, ni la question du cycle infernal de la consommation textile ne sont évoqués dans ce livre.
En savoir plus :
La page de Pietra Rivoli sur le site de l’Université de Georgetown (Washington)
Quelques articles :
http://www.observateurocde.org/news/fullstory.php/aid/1425/Autour_du_monde_en_tee-shirt.html
http://www.alternatives-economiques.fr/lectures/L259/NL259_002.html
http://www.marianne-en-ligne.fr/selection/virtual/coupdegueule/e-docs/00/00/F2/E5/document_selection.phtml

Le Journal du Net nous livre un joli diaporama sur le voyage du tee-shirt :
http://www.journaldunet.com/economie/expliquez-moi/itineraire-tee-shirt/index.shtml

Publié dans Bonne(s) lecture(s) !

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